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L’épuration professionnelle du monde du spectacle à la Libération

Histoire et sciences mathématiques

Published online by Cambridge University Press:  25 April 2024

Karine Le Bail
Affiliation:
CNRS/Centre de recherches sur les arts et le langage, EHESS karine.le-bail@ehess.fr
Julien Randon-Furling
Affiliation:
ENS Paris-Saclay, Centre Borelli Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, SAMM Julien.Randon-Furling@cantab.net

Résumé

Rédigé par une historienne et un spécialiste de modélisation mathématique, cet article explore les enjeux épistémologiques de la collaboration interdisciplinaire à travers une étude de cas : l’épuration professionnelle du monde du spectacle à la Libération. Dans tout processus de justice, la question de l’équité, ou celle, équivalente, d’éventuelles discriminations, est difficile à instruire. A fortiori pour une épuration à caractère disciplinaire, où des artistes ont jugé leurs pairs. L’article montre que le formalisme mathématique, loin de se substituer à l’expertise historique, prolonge celle-ci par les moyens d’un autre langage, abstrait, enrichissant ainsi les modes d’accès au réel en faisant converger plusieurs dispositifs d’enquête. Progressant pas à pas dans la modélisation du problème et dans l’analyse des données, les deux chercheurs prennent soin d’expliciter les approches statistiques et mathématiques de plus en plus complexes qu’ils doivent mobiliser pour détecter des formes jurisprudentielles impossibles à capturer avec des outils classiques – jusqu’à l’idée originale de traiter un processus impliquant des décisions humaines comme un processus algorithmique complexe. Grâce au détournement d’une méthode d’inférence causale conçue pour étudier l’équité de certains processus algorithmiques de type « boîte noire », des résultats inédits, restés jusqu’alors totalement « cachés » dans les données, sont révélés et viennent, en retour, guider l’analyse historique.

Abstract

Abstract

Written by a historian and a mathematical scientist, this article explores the epistemological stakes of interdisciplinary collaboration by focusing on a specific case study: the purge of performing artists after the liberation of France. While the artists most compromised during the occupation were brought before purge tribunals, less serious cases were referred to specialized commissions comprised of their peers. In any legal proceeding, it can be hard to reach a verdict when it comes to questions of fairness or potential discrimination, and this was especially true for these purge commissions. The authors show how mathematical formalism, while obviously not replacing historical inquiry, can extend its reach, offering multiple ways to apprehend an elusive reality thanks to the versatility of an abstract language. Progressing step by step through the modelling of the question and the analysis of the data, they explain the increasingly complex statistical and mathematical approaches mobilized to observe forms of jurisprudence that escape more traditional analysis—arriving at the innovative proposal to treat a trial involving human decisions as a complex algorithmic process. Adapting a causal inference approach designed to evaluate the fairness of “black box” type algorithmic processes brings to light unprecedented results, hitherto hidden in the data. These findings, in turn, lead to new insights for the historian.

Type
Histoire contemporaine et méthodes interdisciplinaires
Copyright
© Éditions de l’EHESS

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References

1. « [L]es personnes célèbres sont le support de jugements moraux nourrissant un procès continu d’identification/distinction », écrivent aussi Myriam Juan et Nicolas Picard dans « Célébrité, gloire, renommée. Introduction à l’étude historique du fait d’‘être connu de ceux que l’on ne connaît pas’ », Hypothèses , 15-1, 2012, p. 87-96, ici p. 95.

2. Edgar Morin, « Les stars », Esprit , 244-11, 1956, p. 674-687, ici p. 676.

3. Charles de Gaulle, Mémoires de guerre , vol. 3, Le Salut, 1944-1946 , Paris, Plon, 1959, p. 136.

4. Conférence prononcée le 5 avril 1946 au théâtre Marigny sous les auspices de la Conférences des ambassadeurs : Pierre-Henri Teitgen, Les cours de justice , Paris, Éd. du Mail, 1946, p. 36.

5. Sur cette question, voir Gisèle Sapiro, La responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France, xix e -xxi e  siècle , Paris, Éd. du Seuil, 2011.

6. Sur cette question, voir Karine Le Bail, « La musique épurée », in   La musique au pas. Être musicien sous l’Occupation , Paris, CNRS Éditions, 2016, p. 207-271.

7. François Mauriac, « La loterie », Le Figaro , 27 déc. 1944, repris dans id. , Le bâillon dénoué. Après quatre ans de silence , Paris, Grasset, 1945, p. 205.

8. Pierre Laborie, « De l’opinion publique à l’imaginaire social », Vingtième Siècle. Revue d’histoire , 18, 1988, p. 101-117, ici p. 113.

9. Celle-ci a fait l’objet de plusieurs études sectorielles : Jean-Pierre Bertin-Maghit, « Chronique d’une épuration », in   Le cinéma sous l’Occupation. Le monde du cinéma français de 1940 à 1946 , Paris, Olivier Orban, 1989, p. 191-216 ; Serge Added, « Épilogue : douce épuration », in   Le théâtre dans les années Vichy, 1940-1944 , Paris, Ramsay, 1992, p. 311-328 ; Claude Singer, « Les contradictions de l’épuration du cinéma français (1944-1948) », Raison présente , 137, 2001, p. 3-37 ; Emmanuelle Loyer, « Le théâtre et l’épuration », in  M. O. Baruch (dir.), Une poignée de misérables. L’épuration de la société française après la Seconde Guerre mondiale , Paris, Fayard, 2003, p. 286-300 ; Yannick Simon , Composer sous Vichy , Lyon, Symétrie, 2009 ; G. Sapiro, La responsabilité de l’écrivain , op. cit.  ; K. Le Bail, La musique au pas , op. cit .

10. Voir Olivier Martin, « Mathématiques et sciences sociales au xx e  siècle », O. Martin (dir.), n o  spécial « Mathématiques et sciences sociales au cours du xx e  siècle », Revue d’histoire des sciences humaines , 6, 2002, p. 3-13, ici p. 3.

11. Marc Bloch, « Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien » [1949], L’Histoire, la Guerre, la Résistance , éd. par A. Becker et É. Bloch, Paris, Gallimard, 2006, p. 843-985, ici p. 867.

12. Il suffit de citer la géométrie euclidienne, la théorie des ensembles ou celle des groupes.

13. Sur ce sujet, voir Claire Lemercier et Carine Ollivier, « Décrire et compter. Du bricolage à l’innovation : questions de méthodes », Terrains & Travaux , 19-2, 2011, p. 5-16 ; Claire Lemercier et Claire Zalc, « Le sens de la mesure : l’histoire et les nouveaux usages de la quantification », in  C. Granger (dir.), À quoi pensent les historiens ? Faire de l’histoire au xxi e  siècle , Paris, Autrement, 2013, p. 135-164.

14. Maurice Fréchet et Maurice Halbwachs, Le calcul des probabilités à la portée de tous , éd. par É. Brian, H. Lavenant et L. Mazliak, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, [1924] 2019.

15. André Weil, « Sur l’étude algébrique de certains types de lois du mariage (Système Murngin) », in  C. Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté , Paris, PUF, 1949, p. 278-285.

16. Antoine Prost et Christian Rosenzveig, « La Chambre des députés (1881-1885). Analyse factorielle des scrutins », Revue française de science politique , 21-1, 1971, p. 5-50.

17. Frédéric Lebaron et Brigitte Le Roux, « Géométrie du champ », Actes de la recherche en sciences sociales , 200-5, 2013, p. 106-109, ici p. 106. On pourrait encore citer les travaux sur l’histoire de l’alphabétisation et du recours à l’analyse factorielle de leurs données de François Furet et Jacques Ozouf (dir.), Lire et écrire. L’alphabétisation des Français, de Calvin à Jules Ferry , Paris, Éd. de Minuit, 1977.

18. Claude Lévi-Strauss, « Les mathématiques de l’homme », Esprit , 243-10, 1956, p. 525-538. Cet article avait précédemment été publié dans le Bulletin international des sciences sociales , 6-4, 1954, p. 643-653.

19. Fernand Braudel, « Histoire et sciences sociales. La longue durée », Annales ESC , 13-4, 1958, p. 725-753, ici p. 737.

20. Ibid. , p. 748.

21. Ibid. , p. 743.

22. R. Michael Alvarez (dir.), Computational Social Science: Discovery and Prediction , New York, Cambridge University Press, 2016 ; Matthew J. Salganik, Bit by Bit: Social Research in the Digital Age , Princeton, Princeton University Press, 2019.

23. Stéphane Lamassé et Fabrice Rossi, « Éditorial », S. Lamassé et F. Rossi (dir.), n o  spécial « Humanités et Statistiques », Journal de la Société française de statistique , 158-2, 2017, p. 1-6, ici p. 6.

24. André Weil, Œuvres scientifiques/Collected Works , vol. 1, New York, Springer-Verlag, 1979, p. 568 (cité par Claude Lavoie, « Claude Lévi-Strauss et les mathématiques », https://archimede.mat.ulaval.ca/amq/bulletins/mai12/Article_Levi-Strauss.pdf, p. 9).

25. S. Lamassé et F. Rossi, « Éditorial », art. cit., p. 6.

26. Karine Karila-Cohen et al.  (dir.), n o  spécial « Histoire quantitative », Annales HSS , 73-4, 2018.

27. F. Braudel, « Histoire et sciences sociales », art. cit., p. 746.

28. Jacques Cellier et Martine Cocaud, Traiter des données historiques. Méthodes statistiques/techniques informatiques , Rennes, PUR, 2001 ; Claire Lemercier et Claire Zalc, Méthodes quantitatives pour l’historien , Paris, La Découverte, 2008.

29. L’interface de traitement de données pour les étudiants et les chercheurs en sciences humaines et sociales, AnalyseSHS, développée par le PIREH à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, permet de mettre en œuvre des statistiques descriptives et multidimensionnelles.

30. Nous entendons « artefact statistique » dans une acception large, proche du deuxième sens d’« artefact » donné dans le CNRTL : « P. métaph., ‘Peut se dire de tout ce qui, provenant d’autre chose, peut camoufler ou surcharger les manifestations qu’on observe.’ (Lafon 1963) » – l’idée étant ici qu’une telle surcharge puisse venir d’une fluctuation aléatoire dans l’échantillon observé.

31. Nelson Goodman distingue le temps de la réalisation de l’œuvre ( execution ) et tout ce qui contribue à la faire fonctionner, soit le rendement social de l’œuvre, qu’il désigne par le terme d’implémentation. Pour les arts d’exécution ( performing arts ), il avance que « les processus de réalisation ( execution ) et d’implémentation sont temporellement entrelacés ; car le premier fonctionnement d’une pièce se produit lorsqu’elle est jouée ( performed ) devant un public ». Nelson Goodman, « L’implémentation dans les arts », in   L’art en théorie et en action , trad. par J.-P. Cometti et R. Pouivet, Paris, Gallimard, [1984] 2013, p. 63-68, ici p. 65.

32. F. Braudel, « Histoire et sciences sociales », art. cit., p. 743-744.

33. Alain Bancaud, « La construction de l’appareil juridique », in  M. O. Baruch (dir.), Une poignée de misérables , op. cit. , p. 61-97, ici p. 69-70.

34. Ibid. , p. 64.

35. Sur la figure de l’artiste entrepreneur, voir Pierre Bourdieu, « Le marché des biens symboliques », L’année sociologique , 22-3, 1971, p. 49-126, ici p. 53-54 ; id. , « Bref impromptu sur Beethoven, artiste entrepreneur », Sociétés & représentations , 11-1, 2001, p. 13-18, ici p. 15-18.

36. Pierre-Michel Menger, « La profession de comédien. Formations, activités et carrières dans la démultiplication de soi », Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, 1997.

37. Eliot Freidson, « Les professions artistiques comme défi à l’analyse sociologique », Revue Française de Sociologie , 27-3, 1986, p. 431-443, ici p. 431.

38. « L’Épuration. Mireille Balin et Albertini mais pas encore de Monzie ! », Ce soir , 28 sept. 1944, p. 2.

39. Article sur l’Affaire de la rue Lauriston de Madeleine Jacob, « Dita Parlo ‘dans le bain’… et pas un mot à la reine-mère ! », Franc-Tireur , 14 sept. 1944, p. 1-2.

40. Créé le 7 juillet 1941, le Comité d’organisation des entreprises de spectacles (COES) fut un organisme central de la vie culturelle sous l’Occupation, en relation avec la Propaganda-Abteilung Frankreich. Il fut dissous en 1946.

41. Paris, Archives nationales (ci-après AN), F/21/8102, Rapport du Congrès de l’Union du Spectacle, « 17-2-45 ».

42. Les troupes fixes des villes de province et les tournées régionales échappent à sa juridiction.

43. L’ordonnance du 13 octobre 1944 instituant une interdiction professionnelle dans l’industrie des spectacles s’inscrivait dans le cadre de l’ordonnance du 22 juin 1944 relative aux organismes dits « comités d’organisation », modifiée par l’ordonnance du 7 octobre 1944.

44. C. Singer, « Les contradictions de l’épuration du cinéma français (1944-1948) », art. cit., p. 10.

45. AN, F/21/8102, Rapport du Congrès de l’Union du Spectacle, « 17-2-45 ».

46. AN, F/21/8102, courrier du « Club Saint Just » adressé à Édouard Bourdet, « 6-01-1945 ».

47. Ordonnance n o  45252 du 17 février 1945 relative à l’épuration des professions d’artistes dramatiques et lyriques et de musiciens exécutants, Journal Officiel du 18 février 1945, p. 851.

48. Ces derniers seront jugés dans le cadre de l’ordonnance du 16 octobre 1944 relative à l’épuration dans les entreprises .

49. C’est le cas de l’immense star du cinéma français Ginette Leclerc. Arrêtée le 8 septembre 1944 et écrouée avec onze agents de la Gestapo sous le chef d’inculpation d’intelligence avec l’ennemi, elle est remise en liberté provisoire 5 mois plus tard sur l’autorisation du commissaire du gouvernement Anglade, qui classera l’affaire le 5 octobre 1946. Le 3 janvier 1946, pour les incriminations de « relations avec l’ennemi » et de tournages pour la « Continental », le CNE lui inflige quand même une peine de 6 mois d’interdiction. AN, Z/6/NL/316, cour de justice du département de la Seine, dossier 757, Geneviève Menut dite « Ginette Leclerc », et AN, F/21/8110, dossier d’épuration de Ginette Leclerc.

50. Il ne sera officiellement suspendu qu’en 1949.

51. France Libre , 31 août 1945, p. 1-2, ici p. 2.

52. À l’instar de la Commission centrale d’épuration pour les Communications ou du Conseil supérieur d’enquête pour l’Éducation nationale. François Rouquet, Une épuration ordinaire, 1944-1949. Petits et grands collaborateurs de l’administration française , Paris, CNRS Éditions, [1993] 2011, p. 90, n. 3.

53. Karine Le Bail, « La radio, tribunal des musiciens français ? », in   La musique au pas , op. cit ., p. 249-271.

54. Étant donné le caractère parcellaire des archives liées à l’épuration, tout bilan du nombre d’individus passés en commission ne peut être considéré comme définitif, d’où la mention « au moins ».

55. Relevant de l’administration des Beaux-Arts, rattachés depuis 1870 au ministère de l’Éducation nationale, les archives de l’épuration administrative font partie de la sous-série F/21. F/21/8102 à 8126 : Direction des spectacles et de la musique, Épuration, 1941-1949. F/21/8102 : Épuration du personnel des spectacles ; F/21/8102-8103 : Commission gouvernementale d’épuration des entreprises de spectacles ; F/21/8105-8113 : Comité national d’épuration des professions d’artistes dramatiques, lyriques et de musiciens exécutants.

56. « Liste complète au 14 février 1949 des Artistes sanctionnés par le comité d’épuration », citée par J.-P. Bertin-Maghit, Le cinéma sous l’Occupation , op. cit. , Annexe XXI.

57. Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), archives Pierre Schaeffer, 199/1381. Document adressé aux comédiens, artistes lyriques, artistes de music-hall, émanant de la Fédération du spectacle, l’Union des syndicats du film, le comité de Front national du théâtre et le comité de Front national du cinéma, s. d.

58. AN, cour de justice du département de la Seine, dossiers d’affaires jugées (1944-1951), Z/6/NL/316, dossier 7576, Constantin Rossi.

59. AN, F/21/8110, dossier d’épuration de Maurice Chevalier.

60. Gabriel Tarde, Psychologie économique , vol. 1, Paris, Alcan, 1902, p. 70. Cité par Alain Chenu, « Des sentiers de la gloire aux boulevards de la célébrité. Sociologie des couvertures de Paris Match , 1949-2005 », Revue française de sociologie , 49-1, 2008, p. 3-52, ici p. 6, n. 2.

61. Alain Chenu parle de « labels de célébrité superlative » (A. Chenu, « Des sentiers de la gloire aux boulevards de la célébrité. Sociologie des couvertures de Paris Match , 1949-2005 », art. cit., p. 11).

62. Les analyses de Serge Added, Laurence Bertrand Dorléac ou encore Jean-Pierre Bertin-Maghit vont dans le même sens.

63. Ainsi, 90 % du panel n’a qu’une ou deux incriminations, et plus de la moitié de celles-ci concerne moins de 9 individus.

64. Il s’agit des dossiers de Georges Chamarat, Suzy Delair, Tania Fedor, Danielle Darrieux, Fernandel, André Gabriello, Ginette Leclerc, Jean Servais. On relève une même sous-représentation de l’incrimination liée au doublage de films de propagande allemands (SYN), avec seulement 7 individus.

65. Voir supra note 49.

66. Les historiens se sont très tôt emparés de ces outils d’analyse géométrique des données, si l’on songe à Antoine Prost et, plus largement, à la dynamique lancée dans les années 1970 à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : Léo Dumont, Octave Julien et Stéphane Lamassé, « Articuler histoire et informatique, enseignement et recherche : le PIREH de l’université Panthéon-Sorbonne », Humanités numériques , 1, 2020, https://doi.org/10.4000/revuehn.284.

67. Mathématiquement, un graphe  G est un couple de deux ensembles, G  = ( V , E ), tel que les éléments du deuxième ensemble, E , sont des couples d’éléments du premier ensemble, V . Ainsi, on peut interpréter  E comme un ensemble de liens – d’arêtes – entre les éléments de  V interprétés quant à eux comme des sommets ou des nœuds. Un graphe est également l’objet mathématique utilisé pour modéliser un réseau.

68. Peter J. Bickel, Eugene A. Hammel et J. William O’Connell, « Sex Bias in Graduate Admissions: Data from Berkeley », Science , 187-4175, 1975, p. 398-404.

69. Fabien Lostec, « Les collaboratrices face aux tribunaux de l’épuration : le cas de la Loire inférieure », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest , 127 - 2, 2020, p. 125-153, ici p. 150.

70. Sur les usages et mésusages de la valeur- p , voir Regina Nuzzo, « Scientific Method: Statistical Errors », Nature , 506, 2014, p. 150-152 ; Ronald L. Wasserstein, Allen L. Schirm et Nicole A. Lazar, « Moving to a World Beyond ‘ p < 0.05’ », The American Statistician , 73, supplément 1, 2019, p. 1-19.

71. Définie comme s  = - log₂  p , où log₂ désigne le logarithme en base 2 ; «  s  » faisant référence au mathématicien américain Claude Shannon, un des fondateurs de la théorie de l’information. Voir Sander Greenland, « Valid P -Values Behave Exactly as They Should: Some Misleading Criticisms of P -Values and Their Resolution with S -Values », The American Statistician , 73, supplément 1, 2019, p. 106-114.

72. Signalons que dans l’exemple tiré de l’article de F. Lostec, « Les collaboratrices face aux tribunaux de l’épuration », art. cit, p. 676-677, la valeur- s est égale à 10, si bien que l’on pouvait clairement rejeter ses conclusions.

73. Tel que visualisé dans la figure 1.

74. John A. Nelder et Robert W. M. Wedderburn, « Generalized Linear Model », Journal of the Royal Statistical Society. Series A (General) , 135-3, 1972, p. 370-384.

75. Pour contourner cet écueil, il existe des procédures statistiques (dites de tests multiples) qui prennent en compte, dans le calcul de la valeur- p (et donc de la valeur- s ), la multiplicité des tests réalisés.

76. Agnès Callu, « Les music-halls et cabarets ou les petites entreprises du ‘Gai Paris’ sous l’Occupation », in  A. Callu, P. Eveno et H. Joly (dir.), Culture et médias sous l’Occupation. Des entreprises dans la France de Vichy , Paris, CTHS, 2009, p. 217-231.

77. Pierre Philippe, L’air et la chanson , Paris, Grasset, 2003, p. 24.

78. Pour constituer notre corpus du Gai Paris, nous avons isolé les familles « variétés », « music-hall » et « cirque », en excluant les comédiens et les acteurs. Hormis les forains (cracheurs de flammes et autres briseurs de chaînes que l’on vient regarder sur l’esplanade entre Blanche et Pigalle), notre Gai Paris s’apparente à la classification qu’en fit le Comité d’organisation des entreprises de spectacles (COES) en 1942 (au « Groupe des spectacles forains, des spectacles de curiosités, music-halls, cirques, etc. », Officiel du spectacle , 1, 1942, p. 2).

79. Cette incrimination concerne 34 % des artistes de notoriété 2 et encore 20 % de ceux de notoriété 1, contre seulement 2 % des anonymes ( s  = 22).

80. Pour une introduction détaillée à l’ACM, voir par exemple Julien Duval, « Analyse des correspondances multiples », Politika , https://www.politika.io/fr/notice/analyse-correspondances-multiples.

81. Les résultats de l’ACM sont disponibles en ligne : https://julienrf.shinyapps.io/StatEp. Pour une utilisation plus avancée, sous R, le paquet FactoMineR fournit l’ensemble des outils d’analyse géométrique des données. Voir Sébastien Lê, Julie Josse et François Husson, « FactoMineR: An R Package for Multivariate Analysis », Journal of Statistical Software , 25-1, 2008, p. 1-18.

82. Luc Capdevila, « La ‘collaboration sentimentale’ : antipatriotisme ou sexualité hors-normes ? (Lorient, mai 1945) », F. Rouquet et D. Voldman (dir.), n o  spécial « Identités féminines et violences politiques (1936-1946) », Cahiers de l’IHTP , 31, 1995, p. 67-82.

83. Anne Simonin, « La femme invisible : la collaboratrice politique », Histoire@Politique , 9-3, 2009, https://doi.org/10.3917/hp.009.0096, ici p. 1.

84. Voir la figure 1.

85. Ceci n’est possible que si le graphe présente une propriété appelée connexité, à savoir que l’on peut passer de n’importe quel nœud du réseau à n’importe quel autre en suivant les arêtes. Dans notre cas, le graphe n’est pas connexe mais il le devient si l’on exclut deux incriminations isolées et très faiblement représentées (le « commerce illicite » et la « télévision allemande » concernant chacune un seul individu n’ayant aucune autre incrimination).

86. Par exemple les moindres carrés ordinaires (OLS) ou le critère d’information bayésien (BIC).

87. Nous utilisons le paquet glmulti développé sous  R par Vincent Calcagno et Claire de Mazancourt, « Glmulti: An R Package for Easy Automated Model Selection with (Generalized) Linear Models », Journal of Statistical Software , 34-12, 2010, p. 1-29.

88. Ce résultat pourra à l’avenir être affiné en tenant compte du nombre d’émissions de propagande reprochées ou à tout le moins d’un volume estimé : en effet, les commissions n’ont pas jugé à la même enseigne un artiste ayant effectué 2 ou 3 émissions et un autre accusé d’avoir participé à plus de 100 émissions de propagande.

89. François Rouquet, « Libération et épuration au ministère des Communications », in   Le rétablissement de la légalité républicaine, 1944. Actes du colloque, 6, 7, 8 octobre 1994, organisé par la Fondation Charles de Gaulle, la Fondation nationale des sciences politiques, l’Association française des constitutionnalistes et la participation de l’université de Caen , Bruxelles/Paris, Éd. Complexe, 1996, p. 527-542, ici p. 536.

90. AN, F/21/8102, courrier manuscrit d’Édouard Bourdet, futur délégué aux Spectacles au secrétariat des Beaux-Arts à un destinataire inconnu demeurant au 1, rue Bonaparte, 27 août 1944. Bourdet propose quelques modifications à un projet d’arrêté concernant l’épuration du monde du spectacle. L’article 5 prévoyait des mesures « d’absolution » en faveur de toute personne incriminée si celle-ci était en mesure d’établir que « les faits relevés à sa charge ont été accomplis par elle sous l’empire d’une erreur indépendante de toute faute de sa part ou sous la pression d’une contrainte suffisante pour avoir paralysé sa propre volonté. La même mesure d’absolution pourra aussi intervenir au profit de toute personne qui après une faiblesse momentanée, se sera rachetée dans la suite par des actes de courage civique, démonstratifs de son patriotisme ».

91. Subsistait en effet l’hypothèse que si les vedettes avaient été moins sévèrement condamnées en moyenne, c’était peut-être qu’elles s’étaient moins compromises.

92. Sur l’équité des algorithmes, voir Sorelle A. Friedler, Carlos Scheidegger et Suresh Venkatasubramanian, « On the (Im)Possibility of Fairness », 2016, arXiv:1609.07236 ; Patrice Bertail et al. , « Algorithmes : biais, discrimination et équité », 2019, https://www.telecom-paris.fr/wp-content-EvDsK19/uploads/2019/02/Algorithmes-Biais-discrimination-equite.pdf.

93. Francesco Bonchi et al. , « Exposing the Probabilistic Causal Structure of Discrimination », International Journal of Data Science and Analytics , 3, 2017, p. 1-21. Les quatre auteurs combinent une approche d’apprentissage de réseau bayésien à une théorie probabiliste de la causalité de Patrick Suppes, A Probabilistic Theory of Causality , Amsterdam, North Holland Pub. Co., 1970.

94. Lawrence Page et al. , « The PageRank Citation Ranking: Bringing Order to the Web », Technical Report, Stanford InfoLab SIDL-WP-1999-0120, 1999. Pour « Personalized PageRank », voir Glen Jeh et Jennifer Widom, « Scaling Personalized Web Search », in   Proceedings of the 12th International Conference on World Wide Web , New York, Association for Computing Machinery, 2003, p. 271-279, https://dl.acm.org/doi/10.1145/775152.775191.

95. Rappelons ici qu’Internet et le Web sont deux choses différentes : Internet est une entité constituée par la mise en réseau d’ordinateurs, le Web un ensemble de pages et d’hyperliens qui s’appuie sur cette mise en réseau. PageRank est un outil d’analyse du Web.

96. Au passage, cela permet de comprendre pourquoi les modèles de régression retenus par le GLM ne parvenaient pas à trancher entre un effet atténuateur ou un effet aggravant du caractère « femme ».

97. Il n’a pas été trouvé de dossier ouvert par les cours de justice.

98. AN, F/21/8109, dossier d’épuration de Suzy Gossens dite Suzy Gossen, 12 janv. 1945.

99. Il n’a pas été possible de vérifier si Suzy Gossen avait pu reprendre ses activités entre le 12 janvier 1945, au terme de sa peine, et le nouveau jugement du 1 er  mars 1946.

100. S’il s’avère qu’il existe des différences significatives entre les peines effectives prononcées par les commissions, il conviendra alors d’émettre de nouvelles hypothèses – les profils des dossiers sont-ils les mêmes d’une instance à une autre, existe-t-il des effets de contexte, de sociologie des commissions, etc. ? Nous n’épuisons bien sûr pas ici toutes les questions qui se posent dans une analyse comparative.

101. C. Lévi-Strauss, « Les mathématiques de l’homme », art. cit., p. 538.

102. Nous ne sommes du reste pas les seuls à nous inscrire dans cette démarche, les médiévistes étant à cet égard en pointe. Citons notamment l’historien Florent Hautefeuille et le mathématicien Bertrand Jouve, « La définition des élites rurales (xiii e -xv e  siècle) au carrefour des approches historiques, archéologiques, mathématiques », Mélanges de l’École française de Rome-Moyen Âge , 124-2, 2012, https://doi.org/10.4000/mefrm.843 ; Fabrice Rossi, Nathalie Villa-Vialaneix et Florent Hautefeuille, « Exploration of a Large Database of French Notarial Acts with Social Network Methods », Digital Medievalist , 9, 2013, https://doi.org/10.16995/dm.52 ; Yacine Jernite  et al. , « The Random Subgraph Model for the Analysis of an Ecclesiastical Network in Merovingian Gaul », The Annals of Applied Statistics , 8-1, 2014, p. 377-405. Citons également la communauté « The Connected Past », dédiée à l’application de la science des réseaux en archéologie et en histoire, l’organisation « Digital Medievalist », le groupe « Res-Hist » ou encore la revue Journal of Historical Network Research , qui visent à favoriser le développement de l’analyse de réseaux en histoire et en archéologie. Il existe quelques exemples de collaboration en histoire contemporaine, notamment : Marc Barthelemy et al. , « Self-Organization versus Top-Down Planning in the Evolution of a City », Nature Scientific Reports , 3, 2153, 2013, https://doi.org/10.1038/srep02153.

103. Sur la question du genre en histoire, voir Françoise Thébaud, « Genre et histoire en France. Les usages d’un terme et d’une catégorie d’analyse », Hypothèses , 8-1, 2005, p. 267-276.

104. C. Lévi-Strauss, « Les mathématiques de l’homme », art. cit., p. 538.

105. F. Braudel, « Histoire et sciences sociales », art. cit., p. 734.